Voici venue l'ère du tout digital dans notre société. Recherche de l'information, comparaison, réservation, achat en ligne, service après-vente, chaque étape d'un parcours client peut désormais se faire en ligne sans qu'il n'y ait aucune matérialisation. Le domaine des assurances n'y fait pas obstacle, même si la transformation des modes de communication avance très lentement à l'inverse d'autres secteurs. Depuis quelques années, la digitalisation de la relation assurés/assureurs se construit et va dans le sens d'une valorisation de l'entreprise et d'une amélioration des rapports humains, contrairement à ce que la sécheresse du terme pourrait laisser croire. Devenir un assureur digital semble incontournable. Cet enjeu pour l'avenir du secteur va transformer la relation client et le modèle industriel et organisationnel des sociétés.
En collaboration avec Exton Consulting (cabinet de conseil et stratégie spécialisé dans les services financiers), l'Argus de l'Assurance a organisé une table ronde avec 6 intervenants, invités à débattre de la digitalisation de l'assurance. Les directeurs marketing de plusieurs grands noms de l'assurance et de la bancassurance (MMA, Natixis, Generali, Maaf, Axa, Cardif) ont débattu de l'importance du processus digital dans l'univers de l'assurance et des changements relationnels qu'il induit entre le consommateur et l'assureur. La relation client n'est plus linéaire, elle se fragmente en plusieurs canaux, commence et évolue sur le net grâce aux outils interactifs (site web, visioconférence, code client, avatars,...) pour se terminer souvent par le canal classique de la relation directe.
Pour le secteur, l'enjeu du numérique est colossal d'un point de vue économique. Si aucun ne fait mystère de la complexité des mises en place, notamment quand on aborde le domaine juridique (signature numérique), la commercialisation des produits d'assurance par le web est une étape obligée pour les assureurs. Sans pour autant qu'il faille miser sur le tout digital, car les freins sont multiples : coût de développement d'un site web dissuasif en période de crise, difficulté à recruter des développeurs spécialisés, perte d'emploi induite par la mise en place d'une stratégie digitale (diminution des effectifs estimée à 30%), référencement et investissement publicitaire, personnalisation de l'information, et last but not least la décision finale du client qui emprunte la plupart du temps le réseau physique. L'évolution digitale doit être toujours relayée par le contact téléphonique : à tout moment de sa navigation, l'internaute doit pouvoir entrer en relation directe avec un conseiller.
Les avis sont partagés s'agissant du SVI, service vocal interactif. Ce système de "dialogue" informatique permet d'accéder à la base de données et d'émettre des demandes de services. Copieusement utilisé dans le secteur bancaire, le SVI est souvent critiqué pour sa programmation simpliste et son manque d'efficacité à traiter rapidement et précisément la demande de l'appelant. Chez Cardif, le relais téléphonique ne doit en aucun cas fonctionner par le biais d'un serveur vocal. Son discordant chez Maaf et Axa qui considèrent le SVI comme "un des premiers leviers de croissance" tout en étant un "formidable outil de productivité". Autre problématique avec les centres d'appels qui doivent redorer leur piètre image d'externalisation en améliorant la compétence des opérateurs téléphoniques.
L'enjeu est d'inventer un nouveau modèle relationnel avec un client de plus en plus mobile. Celui-ci ignore le multicanal ; seule référence, la marque qui doit pouvoir répondre à ses demandes en matière d'assurance quel que soit le vecteur utilisé : conseiller commercial par téléphone éventuel par le biais du SVI, agent dans un cabinet, site web. L'importance pour les sociétés d'assurance est de gérer le multicanal en intégrant les réseaux physiques au développement internet. Cela se fait par exemple par la création d'un site dédié par agence, ce qui n'entraîne aucune cannibalisation du site de la maison-mère. Ce choix a été fait par MMA et la Maaf où chaque boutique ou agence dispose de son propre site. Le référencement sur le net s'en trouve amélioré. Chez Maaf et Axa, on a aussi développé un canal télévisuel interne pour que les agences deviennent le terrain privilégié du multicanal. Autre vecteur innovant : la tablette numérique. Le succès de l'iPad a donné idée à Axa d'en équiper ses commerciaux pour réaliser les démarches de vente en clientèle. Cela bénéficie à l'image de marque du groupe au-delà de rendre efficiente la gestion du produit (limitée pour le moment au seul produit Excellium). Quant à utiliser les réseaux sociaux, le scepticisme domine. Les actions restent au stade expérimental, l'objectif étant de créer du flux et du business. Chez Natixis, on fait le pari de la communauté d'internautes via Facebook pour sensibiliser aux problématiques de la dépendance. Le souci pour les assureurs reste le retour sur investissement par le biais de réseaux sociaux tel Facebook qui repose sur un modèle économique incertain.
La grande difficulté demeure la bonne connaissance des clients, liée à la collecte de données permettant d'être exploitées à des fins commerciales. La gestion de la relation client (social CMR en anglais, pour consumer relationship management), déjà utilisée outre-Atlantique pour aider à la tarification des primes d'assurance, se heurte en France à la Cnil (commission nationale de l'informatique et des libertés). Elle permettrait pourtant de mieux cibler la tarification sans pour autant changer les fondamentaux de la mutualisation des risques.
La révolution digitale est en marche chez les assureurs. Chacun s'emploie à son rythme à mettre en place des processus où la synergie du net avec les réseaux physiques doit restée cohérente et efficace.