L'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 entre les partenaires sociaux et le patronat a entériné dans ses articles 1 et 2 la généralisation de la complémentaire santé pour tous. A compter du 1er janvier 2016, tous les salariés du privé devront être couverts par une assurance santé complémentaire souscrite au sein de leur entreprise. Une avancée sociale de prime abord, mais une catastrophe pour les petits assureurs qui voient dans la transcription de l'accord une menace pour leurs emplois.
En permettant à tous les salariés du privé d'être couverts par une complémentaire santé payée pour moitié par les entreprises, l'accord du 11 janvier dernier favorise également la prise de position du marché par les institutions de prévoyance. Prédominantes sur le segment de l'assurance santé collective, les institutions de prévoyance vont sans doute renforcer leur activité grâce aux clauses de désignation. Ces clauses prévoient en effet que les partenaires sociaux désignent par branche l'organisme chargé de gérer le contrat collectif, ne laissant aucune liberté aux entreprises de choisir. Trois types d'organismes peuvent contracter avec l'entreprise un contrat complémentaire collectif : les mutuelles, les assurances et les institutions de prévoyance. Ces dernières sont gérées de manière paritaire par des syndicats de salariés et d'employeurs, ces mêmes syndicats qui établissent par voie d'accord collectif le choix de l'organisme imposé dans le cadre d'un accord de prévoyance d'entreprise. Autant dire que les institutions de prévoyance se retrouvent en première ligne au détriment des mutuelles, sociétés d'assurance et autres courtiers. Si elles ne représentent que 4% des organismes complémentaires, elles raflent aujourd'hui près de 45% du marché de l'assurance collective.
Le texte du 11 janvier prévoyait la mise en concurrence des prestataires après recommandation des partenaires sociaux par branche. Examiné en conseil des ministres courant mars, le projet du texte de loi a restreint la liberté de choix par l'introduction des clauses de désignation, décision contestée par l'Autorité de la concurrence qui a émis des recommandations visant à garantir l'égalité entre les différents organismes d'assurance collective. Le 9 avril le projet de loi issu de l'ANI sera approuvé en première lecture à l'Assemblée, pour être modifié le 20 avril par les sénateurs qui suppriment les clauses de désignation. Le 23 avril une commission mixte paritaire rétablira finalement les clauses de désignation sans tenir compte des amendements du Sénat, nouvelle mouture adoptée sans surprise par l'Assemblée le lendemain. Cette commission était chargée de trancher le désaccord entre les deux chambres, elle donne gain de cause aux députés de la majorité et restreint de fait la libre concurrence entre assureurs, mutuelles et institutions de prévoyance. Le texte est réinscrit au Sénat le 14 mai prochain.
Du côté des assureurs, la fronde laisse place à l'inquiétude. Le mouvement "Sauvez les abeilles" qui regroupe 250 000 salariés des courtiers, agents, petites et moyennes mutuelles essaie de faire plier l'exécutif en organisant partout en France des mobilisations générales dans les Pôles Emploi. Leur credo : "oui à une mutuelle pour tous, mais non au hold-up réalisé par le gouvernement". Le monopole que l'Etat offre aux institutions de prévoyance pourrait causer la perte de 40 000 emplois, conséquence directe de la réintroduction des clauses de désignation. Le mouvement est soutenu par le député PS Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois à l'Assemblée. Il a obtenu du ministre Michel Sapin l'engagement que les futurs décrets d'application garantissent une réelle mise en concurrence des prestataires.