Assurance construction : des milliers de propriétaires et d'artisans menacés par la faillite d'assureurs étrangers

Assurance construction : des milliers de propriétaires et d'artisans menacés par la faillite d'assureurs étrangers

La réglementation européenne autorise la libre prestation de services. Des sociétés étrangères peuvent exercer sur le marché français, et concurrencer les acteurs locaux souvent plus chers. Ce système a malheureusement ses limites. Des milliers de propriétaires et d'entrepreneurs du bâtiment risquent d'en faire la douloureuse expérience après la faillite de plusieurs compagnies d'assurance auprès desquelles ils ont souscrit des assurances construction.

Liberté d'établissement et liberté de prestations de services

En vertu du traité sur le fonctionnement de l'UE, les entreprises et les professions libérales de l'Union peuvent librement opérer dans d'autres Etats membres (directive "Bolkestein" 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur). Cette liberté est une des quatre garanties par le marché unique : la libre circulation des biens, des capitaux, des personnes et des services. Selon le texte, cette directive serait "fondamentale pour achever le marché intérieur, compte tenu des avantages qu'elle offre potentiellement aux consommateurs et aux PME". Elle a pour objectif de créer un marché unique des services au sein de l'UE, tout en veillant à garantir la qualité des services fournis aux consommateurs dans l'Union.

Faillite d'assureurs étrangers

Cette prétendue garantie de qualité fait pourtant défaut pour des milliers de propriétaires et d'artisans français qui ont voulu profiter de la libre concurrence pour réduire le coût des assurances construction. Selon le journal Le Parisien, entre 100 000 et 200 000 personnes seraient potentiellement concernées par la faillite de compagnies d'assurance étrangères ayant commercialisé des assurances de construction (assurance dommages-ouvrage et garantie décennale). Depuis juillet 2017, cinq compagnies ont mis la clef sous la porte, laissant leurs clients sans couverture en cas de sinistres (le réassureur néo-zélandais CBL, la société Elite à Gibraltar, la filiale d’assurance de CBL en Irlande, le danois Alpha, et des sociétés opérant via le courtier SFS). L'enjeu est de taille : pour un particulier, un défaut relevant de l'assurance dommages-ouvrage peut coûter des milliers d'euros ; l'artisan joue, quant à lui, la survie de son entreprise.

Quel recours ? Payer encore ! L'important est d'être à nouveau couvert, la difficulté est de souscrire un nouveau contrat auprès d'un assureur prêt à reprendre les garanties de la société en faillite. 

LBS : un passeport à haut risque pour le consommateur

La liberté de prestation de services (LBS) est la faculté pour une entreprise agréée d'un État membre d’offrir ses services sur le territoire d'un autre État membre sans y être établie. Elle n'exige aucune reconnaissance de qualification professionnelle. Les seuls prérequis pour exercer en France les actes de sa profession sont :

  • être titulaire de diplômes, certificats, autres titres obtenus dans l'un des Etats membres ;
  • être établi et exercer légalement la profession concernée dans un État membre autre que la France.

Il suffit au professionnel de demander une autorisation auprès des autorités compétentes du pays ou de la région où il s'installe. Une fois implantée en France, la société étrangère échappe au contrôle de l'ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution), instance chargée de surveiller les compagnies d'assurance et les banques sur le territoire.

Le secours partiel du Fonds de Garantie

En avril dernier, Bernard Delas, vice-président de l'ACPR, affirmait que la LBS révèle une faille dans la supervision européenne, illustrant son propos par les faillites en cascade d'assureurs européens opérant en France via le passeport offert par la LBS. L'ACPR n'a aucun moyen d'intervenir, puisque seule l'autorité de supervision du pays d'origine de ces assureurs est compétente. A part renforcer la pression sur cette même autorité.

Ironie du sort, la Cour Européenne de l'UE demandera à la France via le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires (FGAO) de couvrir les sinistrés victimes de compagnies spécialistes de l'assurance construction défaillantes opérant avec le passeport LBS. Le décret publié au JO le 16 juillet 2018 stipule que le nouveau champ d'intervention du FGAO s'applique aux contrats souscrits et renouvelés à partir du 1er juillet 2018, pas au stock de contrats existants, et uniquement pour la garantie dommages-ouvrage, la garantie décennale étant exclue.








Francesco Romanello

Par , le jeudi 8 novembre 2018

Partager cet article :