Assurance santé collective : déséquilibre entre assureurs, mutuelles et institutions de prévoyance.

La généralisation de la complémentaire santé à tous le salariés alimente débats et polémiques depuis la signature de l'accord national interprofessionnel (ANI) le 11 janvier dernier. Si le texte initial prévoyait le libre choix du prestataire, la transposition par voie législative a introduit des clauses de désignation qui imposent aux entreprises de souscrire auprès de l'organisme retenu par les partenaires sociaux dans le cadre des négociations de branche. Assureurs et mutualistes se sont empressés de dénoncer cette directive qui les désavantage au profit des institutions de prévoyance. La bataille pour l'énorme gâteau de l'assurance santé collective est engagée. Trouver le juste équilibre entre tous les acteurs du secteur : une mission impossible qui commence sur le terrain juridique.

Atteinte à la libre concurrence

La loi de sécurisation de l'emploi a été votée en mai dernier. Elle inclut notamment la généralisation de la complémentaire santé à l'ensemble des salariés à l'horizon 2016. Intention louable, si ce n'est qu'elle risque s'asseoir définitivement la position dominante des institutions de prévoyance sur le marché de l'assurance santé collective. Un marché estimé à plus de 30 milliards d'euros. Personne n'est prêt à céder ses parts de marché et dans le domaine, les institutions de prévoyance ont de l'avance.

En introduisant des clauses de désignation, le gouvernement se met à dos les compagnies d'assurance et les mutuelles. En mars dernier, l'Autorité de la Concurrence avait déjà émis de fortes réserves sur ces fameuse clauses, et préconisé de les amender pour laisser à l'entreprise, comme le prévoyait le texte initial, la liberté de retenir l'organisme de son choix, voire de créer des commissions indépendantes charger de sélectionner des opérateurs. En vain, le débat parlementaire a entériné le texte avec les clauses de désignation.

Les assureurs s'inquiètent d'un mécanisme qui les menacent d'une exclusion du marché. En obligeant l'entreprise à souscrire auprès du partenaire désigné par la branche professionnelle, la loi risque de consolider la prédominance des institutions de prévoyance pour une raison simple : celles-ci sont majoritairement gérées par les partenaires sociaux, ceux-là même qui désignent l'organisme protecteur. Un conflit d'intérêts dénoncé par certains politiques et par des géants de l'assurance comme Allianz.

Recours juridique

Près d'une centaine de parlementaires UMP ont déposé un recours contre la loi auprès du Conseil Constitutionnel. En parallèle, Allianz conteste la validité des clauses de désignation et des clauses de migration qui les accompagnent parfois en déposant une question prioritaire de constitutionnalité auprès du Conseil d'Etat et de la Cour d'appel de Paris le 22 mai dernier. Au nom d'une liberté d'entreprendre menacée par un quasi monopole de fait au bénéfice des institutions de prévoyance, le groupe rappelle que l'entreprise doit demeurer le niveau de référence de la négociation collective.

La majorité parlementaire n'aurait-elle pas introduit les clauses de désignation pour éviter de déstabiliser les institutions de prévoyance ? Si les institutions de prévoyance ne représentent que 4% des organismes complémentaires, elles totalisent à elles seules 45% du marché de l'assurance santé collective. Plus parlant : 84% de leurs primes en frais de soins relèvent des contrats collectifs signés dans le cadre des accords de branche. La structure de leur activité mono-centrée les rend fragiles. En laissant aux entreprises la liberté de choix de l'organisme assureur, les institutions de prévoyance risquent de subir un déséquilibre préjudiciable. Sans compter qu'elles contribuent elles-mêmes à financer indirectement les partenaires sociaux.

La Cour de Justice de l'UE valide les clauses de désignation

La Cour de Justice de l'Union Européenne a approuvé en mars 2011 l'affiliation obligatoire des entreprises d'un secteur professionnel à un organisme assureur par clause de migration. La Cour avait alors donné raison à la branche boulangerie/pâtisserie artisanale qui avait désigné le groupe AG2R La Mondiale pour mettre en place un régime de prévoyance santé pour l'ensemble des entreprises du secteur. La décision était motivée ainsi : la clause de migration obligatoire "permet à l'organisme assureur désigné d'accomplir une mission d'intérêt économique général qui lui est confiée par les partenaires sociaux suite à une négociation. Le degré de solidarité élevé et les contraintes imposées par cette désignation permettent de justifier le droit exclusif de cet organisme de gérer un tel régime, sans qu'aucune dispense d'affiliation ne soit possible." En clair, les pouvoirs publics français peuvent donc valider une telle clause sans pour autant constituer une atteinte à la libre concurrence ou constituer un abus de position dominante.



Audrey Benzaquen

Par , le mardi 11 juin 2013

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